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Généralement traité par la bande ou scruté à l’aide d’un nombre de documents assez restreint, l’Ordre des Chevaliers du travail au Québec échappe encore et toujours à la compréhension des spécialistes. L’image que les historiens, sociologues et experts en relations industrielles ont pu en livrer a entraîné des appréciations très négatives : l’aile québécoise de la centrale syndicale américaine étant montrée comme un mouvement utopiste, trop éloigné des besoins immédiats des travailleurs et de la réalité du monde industriel. À renfort de nouvelles sources, nous présentons un portrait tout autre de son cheminement organisationnel. Non seulement l’expérience des chevaliers québécois est-elle tout à fait remarquable, mais elle façonnera une génération de travailleurs et probablement davantage. Dans le paysage le plus laborieux et capricieux du Canada, Montréal, ils ont entamé une collaboration intense entre francophones et anglophones. Cherchant à construire un rapport de force sur le terrain, ils ont privilégié le syndicalisme de métier, tout en expérimentant avec le syndicalisme industriel à une échelle insoupçonnée par l’historiographie. Ouverts aussi aux immigrants de l’Europe du Sud et de l’Est, de même qu’aux femmes, les chevaliers dérangèrent donc l’ordre existant. C’est pourquoi, plus que tout autre mouvement syndical québécois avant lui, l’Ordre affronta l’hostilité du clergé catholique. Toutefois, le catholicisme joua également dans le sens contraire lorsque, suite à la diffusion de Rerum Novarum, les ouvriers s’inspirèrent de la légitimité offerte à l’organisation du travail pour relancer le mouvement dans les années 1890.
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Grand centre d’exportation de bois, le port de Québec est aussi un lieu d’expérimentation hors du commun en matière de mutualisme et de syndicalisme. Les débardeurs, des Irlandais et des Canadiens français, ouvrent la voie en s’organisant au moyen d’une société de secours mutuel incorporée, en 1862, par un acte du Parlement de la Province du Canada. En 1865, ils revendiquent un salaire standard. Deux ans plus tard, ils ajoutent dix clauses syndicales aux règles de leur association. Combinant mutualisme et syndicalisme, ils construisent rapidement l’organisation syndicale locale la plus puissante au pays. Cette voie de la « société de secours mutuel se transformant en syndicat » suscite des émules chez les bateliers, les arrimeurs, etc. Elle soulève aussi la crainte des élites commerciales, judiciaires et politiques. S’ensuit alors un combat sur plusieurs fronts visant à ramener la société des débardeurs à des fonctions purement mutualistes, et par le fait même à fermer la porte à une méthode d’organisation jugée socialement dangereuse pour l’ordre établi. Bien que les ouvriers ne désarment pas, l’État québécois réussit à réduire substantiellement la « zone de tolérance » du mutualisme sur son territoire.
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